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3 - Ma vie est passionnante (I) : écrire un opéra

jeudi 22 janvier 2009, par Valentin.

Mercredi soir. Nouvel hôtel (mon troisième en trois nuits, mon sixième en tout dans cette ville — qui en compte plus de 50, dont une dizaine seulement dans mes prix). J’ai un peu plus de temps (il est moins de trois heures du matin), donc je vais en profiter pour raconter ma vie en longueur...

Remonter au début de cette histoire n’est jamais des plus plaisant. En général, c’est la question bateau, convenue, que me posent par politesse les gens qui au fond s’en foutent pas mal : les rombières, les journalistes, ou des employés de l’Opéra. « Mais au fait, comment cette idée vous est-elle venue ? » Je réponds toujours ce que l’on attend de moi, de bonne grâce et en tâchant de faire court. Mais que répondrais-je si je disais vraiment le fond de ma pensée, tel qu’il me passe par la tête ? Essayons voir...

Disons-le tout net : s’il y a deux choses qui m’ont toujours gonflé, c’est certainement la musique vocale, et la musique contemporaine. La musique vocale parce que la voix lyrique (surtout celle des femmes), anormalement aigüe et puissante, a quelque chose d’effrayant (les chanteuses sont d’ailleurs notoirement hystériques). La musique contemporaine, hum, tout dépend de quelle musique contemporaine l’on parle. Autant les grands auteurs du vingtième siècle, qui ont tour à tour détruit et renouvelé les langages musicaux, m’intéressent depuis l’âge de 11 ans, autant les compositeurs vivants d’aujourd’hui, je ne les connais pas, et n’ai pas particulièrement envie de les découvrir. J’y vois un milieu extrêmement snob, artificiel et faussement cultivé, dans lequel toute conversation se résume à déballer le plus de noms propres possibles par phrase pour tenter de prendre l’ascendant sur votre interlocuteur : « oui, j’ai aussi travaillé avec Machin... tu connais Machin ? Oui, c’est pas mal ce qu’il fait, ça ressemble un peu à Truc — mais en mieux, tu vois, un peu proche de Bidule ; tu sais bien, Bidule qui était à Paris l’autre jour, avec Chose... Quoi, tu connais pas Chose ? »

Comment, quand on n’aime ni la musique vocale ni la musique contemporaine, se retrouve-t-on à écrire un opéra contemporain ? Eh bien, c’est simple : il faut être mû par l’espoir que _celui-ci_, il sera différent. Il faut connaître des chanteurs super sympas, un metteur en scène super drôle, et il faut écrire pour des _vrais_ gens. J’entends par là non seulement des gens qui existent pour de vrai, mais surtout des gens authentiques, accessibles, des gens qui aiment raconter des blagues et bouffer un sandwich avec vous.

De telles personnes, j’en avais rencontré depuis l’âge de 14 ans ; à cette époque, on faisait parfois appel à moi non pas pour jouer du piano, mais pour tourner les pages d’un (ou d’une) pianiste, par exemple dans un concert, ou encore dans un opéra accompagné au piano — c’est assez délicat, de tourner les pages : il faut anticiper juste ce qu’il faut, être rapide sans précipitation, d’un geste assuré et précis (le cauchemar étant de tourner plusieurs pages d’un coup, ou, pire, de fae tomber la partition). Bref. De tourneur de pages, j’étais peu à peu devenu accompagnateur, et j’avais eu l’occasion de jouer des opéras de Mozart (car aucune compagnie n’a les moyens de se payer un orchestre, et donc beaucoup d’opéras sont représentés avec un piano à la place).

Pour mériter un peu de reconnaissance et d’estime de la part de ces chanteurs, j’étais prêt à tout ; tout comme un très jeune enfant qui fait avec attention et fierté un dessin pour sa maman, je me mis à leur écrire des petits bouts de musique. Ma soif de reconnaissance n’avait d’égal que ma mégalomanie, et je pensai très vite à écrire tout un opéra pour mes amis chanteurs. J’imaginais confusément leur joie le jour où je leur apporterais une telle partition : « oh, regardez comme c’est mignon, Valentin nous a fait un (très) gros dessin ! »

Donc voilà. Un opéra. Cela impliquait de trouver une histoire, un texte, ce qu’on appelle le _livret_ d’un opéra. Je fouillai dans les livres, les pièces de théâtre (« La Cantatrice chauve » était un bon candidat, de même que « L’Augmentation »). J’en fis quelques bribes, soit dans ma tête soit sur deux-trois pages. Mais ce projet n’avait aucun avenir ; j’avais seize ou dix-sept ans, et j’étais voué à me décourager au bout de quelques mesures.

Là encore, la clé était de ne pas travailler tout seul dans mon coin : il ne me fallait pas un livret, mais un _librettiste_ avec qui je pourrais travailler et partager la charge de ce projet. Je commençai donc à chercher mollement autour de moi quelqu’un disposé à consacrer un moment à rêvasser à mon idée en l’air ; un été, en vacances chez des amis l’un d’entre eux (Gilles Cèbe) commença même un embryon de livret, comme par divertissement.

Ma vie quotidienne, cependant, ne s’arrangeait pas. À 17 ans, j’avais été viré des classes préparatoires pour m’être rebellé contre une prof (je n’ai aucun regret) ; à 18 ans j’avais été plus ou moins viré du conservatoire de Saint-Maur des Fossés (où je travaillais comme accompagnateur), pour avoir exprimé ma façon de penser sur deux-ou-trois choses (aucun regret) ; j’avais emménagé dans un petit cabanon décrépit, et pour gagner ma vie je devais passer mes semaines à cavaler en vélo d’une banlieue à une autre, pour donner des cours de piano à telle ou telle petite fille de famille bourgeoise, pour accompagner telle chorale ou tel cours de danse, jusque dans les endroits les plus improbables (aah, la gendarmerie de Maisons-Alfort... non, décidément, pas de regrets).

Il me fallait un horizon, l’espoir d’une vie meilleure, d’un peu de pognon et surtout, encore et toujours, d’une vague reconnaissance affective et sociale (parce que prof de piano/pianiste-à-tout-faire, ça ne vaut rien ; au mieux, on est le larbin de service ; au pire, on se clochardise lentement et inexorablement). Il me fallait une échappatoire, une porte de sortie.

Je n’avais pas cessé mes études : j’étais inscrit à l’université par correspondance, et une fois par an, j’ouvrai les enveloppes accumulées au long de l’année, je lisais les cours dans le RER qui me menait aux examens, et parvenais à obtenir les diplômes. Arrivé à la Maîtrise, je voulus faire quelque chose de plus approfondi et choisis de consacrer mon Mémoire à l’auteur de bande dessinée qui m’avait le plus marqué depuis l’âge de 10 ans : Lewis Trondheim. Pendant ce temps, je cherchais de plus belle un librettiste ; j’avais contacté des auteurs, notamment de théâtre, mais je me retrouvais à chaque fois face à des gens désespérément sérieux et introspectifs. J’en venais à me décourager, et comme j’en faisais un jour part à la disquothéquaire du conservatoire (Véronique Duchamp), elle glissa « et un auteur de bédé ? ça pourrait marcher, ça non ? »

Eu-rê-ka. Le jour même, j’appelai l’éditeur de Lewis Trondheim : « bonjour, je fais une Maîtrise sur M. Trondheim, pourriez-vous lui faire suivre un mail ? » Sauf que dans le courrier en question n’était mentionné nul travail universitaire... Mais une phrase du genre « Bonjour, j’ai vingt ans et jusqu’ici je n’ai rien fait de ma vie ; voulez-vous faire un opéra avec moi ? »

La réponse de Lewis est digne de la légende. « Bonjour, c’est drôle que vous me proposiez cela, car il y a trois jours je passais devant l’Opéra et je me disais que ce serait bien que des jeunes se bougent et écrivent des opéras modernes et attrayants.... J’ai beaucoup de travail, donc il vaudrait mieux que nous adaptions une de mes bandes dessinées, mais en général tous mes personnages sont des animaux ; que diriez-vous de prendre plutôt l’album _Politique_étrangère_, que j’ai écrit en 2001 avec Jochen Gerner ? »

Trois jours plus tard, il m’envoyait la première scène.

(à suivre)

Valentin

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